Le festin de Salomé by Unknown

Auteur:Unknown
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 9782897110888
Éditeur: Éditions Druide
Publié: 2014-03-14T00:00:00+00:00

LIVRE 2

UN ENQUÊTEUR EN ROBE DU SOIR

Assis devant une assiette de nouilles, j’ai déposé mes baguettes sur la table et j’ai levé l’index pour appeler la serveuse. Vêtue d’un chemisier noir à col mao et d’un pantalon ample, noir lui aussi, la belle Asiatique s’est déhanchée jusqu’à moi. Oui monsieur ? Son sourire m’a mis en confiance. Je me suis raclé la gorge puis j’ai jeté un regard autour de la pièce. Comme il n’y avait personne aux autres tables de l’établissement, je me suis inquiété. Pouvez-vous me rappeler où nous sommes ? Son sourire s’est élargi, puis elle a croisé les mains sur son ventre. Vous êtes chez monsieur Who. Chez monsieur Who ? ai-je répété. Oui. Je vous sers de l’eau ? J’ai regardé mon verre à moitié vide. Non, merci…

Elle allait tourner les talons quand je lui ai demandé si monsieur Who était là. Elle a pouffé en dissimulant ses lèvres derrière sa main. On aurait dit une fillette qu’on venait de prendre à mentir. Monsieur Who est décédé il y a quarante ans, a-t-elle chantonné dans un français rempli d’intonations asiatiques en levant les yeux vers un portrait de l’homme accroché au mur. Je suis son arrière-petite-fille, Ming Who, ou Who Ming, c’est comme vous voulez. Ming, ça ira pour vous.

J’ai souri à mon tour, puis je me suis massé le front. Dites-moi, Ming, ai-je repris, ces nouilles sont délicieuses, vous êtes vous-même charmante, alors pourquoi suis-je la seule personne à venir manger dans ce restaurant ? Elle n’a pas pu se retenir et s’est mise à rire sans retenue, sans même tenter de se cacher cette fois. Mais vous n’êtes pas dans un restaurant, monsieur. J’ai dit ah non ? Elle a dit ici, c’est le QG. J’ai dit le QG ? Elle a dit oui, le quartier général, comme si cela relevait d’une évidence que j’étais idiot d’ignorer. Les enquêteurs seront là d’une minute à l’autre, a-t-elle ajouté avant de disparaître.

Cette courte conversation m’avait coupé l’appétit, aussi ai-je repoussé mon assiette avant de me caler dans mon fauteuil. Le mot « enquêteurs » s’était accroché à mon cerveau, qui y associait un enchaînement de termes désagréables. Crime, police, juge, prison, sodomie forcée…

Après trois minutes, j’ai pensé qu’on m’avait oublié là, dans ce restaurant qui n’en était pas un, alors je me suis levé et j’ai marché vers la sortie, pour me rendre compte que la porte n’en était pas une non plus, qu’il s’agissait d’un trompe-l’œil peint à même le ciment du mur. Aussi me suis-je dirigé vers l’arrière-cuisine, qui elle non plus n’en était pas une puisqu’il n’y avait là ni cuisinier ni appareils qui puissent servir à préparer des repas. L’éclairage au néon donnait à la pièce un éclat froid d’entrepôt frigorifique qui aurait dû m’inquiéter, mais je me sentais curieusement étranger à ce qui m’arrivait. J’aurais voulu quitter cet endroit et rentrer à la maison, mais je ne voyais de sortie nulle part.

Quand je suis revenu dans la salle principale, ils étaient là, debout, vêtus comme pour aller aux noces.

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